DANS LE COURANT D’UNE ONDE PURE

 

 

Encouragés par le résultat positif d’une première procréation : un beau bébé nommé Hugo, les parents du garçon récidivèrent deux ans plus tard au bénéfice d’un petit Romain, réussi lui aussi. Ils auraient vraisemblablement poursuivi leur plan bisannuel de reproduction si la cuvée suivante ne s’était altérée et portait pour prénom Lucie. Cette catastrophe les avait amenés à suspendre leur contribution à la généalogie familiale. Telle fut, en son jeune âge, la conviction – un rien machiste – du candide Romain.

 

 

Aîné d’une fratrie dont chaque enfant vit les difficultés inhérentes à son âge sans débordements excessifs, Hugo se réjouit d’appartenir à une famille unie. Les inévitables frictions générationnelles s’y résolvent avec tact, les parents assument judicieusement leur autorité, la parole circule en toute liberté. Les Courtois habitent une maison confortable en périphérie d’une ville accueillante.
Ses proches et tous ceux qui approchent Hugo côtoient un adolescent épanoui au contact agréable. Il écoute la musique et regarde les vidéos qui circulent sur la toile, partage avec sa tribu, sur les réseaux sociaux, des fragments de son quotidien. C’est un garçon ordinaire, natif du troisième millénaire. Enfin presque ordinaire car il s’intéresse peu à la mode vestimentaire en cours chez ses pairs et ne se soucie guère de porter des marques.
L’aisance – relative – de ses parents, permet au garçon, peu exigeant par ailleurs, de posséder la panoplie complète de l’adolescent.com : smartphone, tablette pour la mobilité, ordinateur portable grand écran pour le confort à la maison. Bien qu’il soit friand de technologies innovantes la montre connectée ne l’intéresse pas. Porter une montre, fut-elle de luxe ou connectée, est une coquetterie d’un autre âge – version édulcorée de sa pensée. En termes plus prosaïques il répute « vieux cons » les individus coupables d’exhiber ainsi le clinquant symbole de leur opulence. Smartphone, tablette, ordinateur, même le four à la maison, tous ces instruments du quotidien indiquent l’heure. Quant aux autres fonctions de la montre connectée, le four excepté, les objets précités les assument aussi. À quoi bon s’entraver le poignet ?
Le lycée qu’il fréquente n’est pas stigmatisé établissement difficile ni auréolé sanctuaire de l’élite. L’élève se situe dans la moyenne haute de sa classe ; il a un an d’avance dans sa scolarité. Sans doute optimiserait-il ses performances si son esprit indépendant ne s’abandonnait volontiers à une forme d’école buissonnière, réfugié dans un moelleux nuage de rêverie lors des cours estimés ennuyeux. Parce qu’il amortit pour lui les tracasseries du quotidien, le jeune homme entretient ce nuage avec persévérance. Il a cependant décidé de se consacrer, dès la rentrée, au travail en priorité. Sanctionnée par le Bac, la terminale – dernière ligne droite avant la Fac – exige un effort soutenu.
Parce qu’il fait tourner la tête – au sens strict du terme – aux filles de son âge (et à quelques garçons) qui souffrent parfois de torticolis persistant lorsqu’elles croisent son chemin, Hugo en a conclu que Quasimodo n’est pas son cousin. Le miroir en pied de la salle de bain lui renvoie l’image d’un jeune homme élancé, musclé sans ostentation. Ses yeux bleus d’une grande vivacité éclairent un visage aux traits réguliers dont tous les accessoires évoquent à la fois l’harmonie, l’énergie. Seule coquetterie à son crédit : des cheveux mi-longs, couleur châtain – tendance auburn – qu’il ébouriffe minutieusement selon l’humeur du moment. S’il ne tire orgueil de son aimable anatomie, elle lui permet de s’assumer avec assurance.
Bref, la conjoncture serait outrageusement favorable au garçon si une ombre ne venait obscurcir le tableau : la meuf qu’il kiffe est – semble-t-il – la seule adolescente de la ville qui ne s’intéresse pas à lui. Il utilise, sans s’en douter, le verlan et l’argot comme un bouclier. La petite touche de mépris qu’il associe implicitement à meuf atténue l’indifférence ressentie ; kiffer se montre moins définitif qu’aimer. Donc : la meuf qu’il kiffe, débarquée dans sa classe au cours du troisième trimestre, n’a pas succombé à son charme. Cette indifférence obstinée attise vraisemblablement son irrésistible attirance et la poussée de sa fièvre amoureuse mais il est trop inexpérimenté, trop impliqué pour le comprendre et l’accepter.
Les vacances d’été débutantes l’aideront peut-être à digérer sa déconvenue ? Il se peut aussi que l’année scolaire à venir se présente sous de meilleurs auspices ? Il espère qu’en septembre la jolie Chloé, alors bien ancrée dans la cité, s’ouvrira à sa nouvelle vie et, surtout, à lui.


 

Juillet s’insinue par les interstices des volets. Hugo, mal réveillé, voit virevolter dans l’obscurité des myriades de petites pépites d’or. Troublé mais amusé, il contemple ce trésor en suspension dans l’air dont l’intensité et la persistance l’étonnent. Il n’évolue pourtant pas dans un Harry Potter ? Le spectacle lui évoque aussi une tempête de sable en 3D. Des particules de poussière qui reflètent les rayons solaires sans doute ? Lorsqu’il ouvre les volets, la lumière lui saute au visage et il ferme les yeux. De minuscules points lumineux persistent pourtant dans son aveuglement puis ils se raréfient, se dissolvent dans l’air. Peu enclin à se lamenter sur son sort, le garçon oublie rapidement l’incident. Une fois douché et habillé, il revient clore les volets de sa chambre pour y maintenir un semblant de fraîcheur. Comme à son habitude, il dévale ensuite l’escalier.
Bien qu’il soit encore tôt, ses parents sont prêts à partir. Romain et Lucie attendent dans le hall, valises à la main.
— Salut la compagnie ! Que se passe-t-il ? C’est l’exode ?
— Bonjour fiston ! Ce matin nous conduisons ton frère et ta sœur à la gare, lui rappelle son père.
— Ha oui ! J’avais complètement zappé.
— Tu n’auras plus à nous supporter pendant quinze jours, ironise Lucie.
— Parle pour toi ! réplique Romain.
Mais cette petite joute oratoire n’est qu’un jeu car frères et sœur s’entendent bien et Hugo ne relève pas.
— Vous allez chez les grands-parents, je crois ?
— Pauvre grands-parents ! ajoute-t-il tout de même, histoire d’entrer dans le jeu.
— Ton père et moi allons travailler directement après avoir déposé Romain et Lucie, précise la mère. Ce midi on mange sur place comme d’habitude et ce soir nous allons à une réception sans repasser à la maison. On rentrera tard sans doute, ne nous attends pas. Ton repas de midi est dans le micro-onde. Pour ce soir, il y a tout ce qu’il faut dans le frigo.
Petit rituel des « au revoir » puis le quatuor s’en va.
Guillaume et Sophie, les parents récidivistes, travaillent dans le centre-ville. Elle est décoratrice d’intérieur, très prisée dans sa spécialité, il exerce la profession de luthier à la renommée grandissante. Le bureau de l’une voisine avec l’atelier de l’autre, aussi partent-ils ensemble pour gagner le lieu de leurs occupations...

 

***

 

 

La suite de l’histoire se trouve dans «Celles d’un soir»

recueil de 15 nouvelles écrites par 15 auteurs, publié aux éditions

«Atine Nenaud».

 

«Celles d’un soir» est en vente

 sur le site Atine Nenaud 

Si vous ne voulez que la suite de ma nouvelle, vous la trouverez (avec le début) en eBook sur Amazon.

Petite interview promotionnelle.

 

Des mauvaises langues, des médisants,

des jaloux, prétendent que l’auteur, un peu agité, travaille du chapeau !